À l’occasion des 80 ans de la Libération, nous avons rencontré une Nazairienne et un Nazairien nés en 1935. Enfants à Saint-Nazaire au début de la Seconde Guerre mondiale, Gisèle Robert et Henri Bertreux nous livrent chacun leurs souvenirs.
Elle nous en parle : Gisèle Robert
« Je me souviens très bien des bombardements à l’âge de six ans. On partait pratiquement toutes les nuits aux abris. La sirène sonnait et je mettais mon petit manteau gris. On habitait rue Marceau et on allait en-dessous de la chapelle des Franciscains. Il y avait beaucoup de monde.
Au début, on restait près des parents, puis l’enfance faisait qu’on jouait dans cette église souterraine. Les pères capucins donnaient un morceau de sucre aux enfants. On n’en avait pas à la maison, c’était bon !
Une fois, on a passé la nuit entière dans cet abri. C’était l’opération Chariot. Puis, les Allemands sont venus chercher les Anglais qui pouvaient se cacher. Ils regardaient sous les lits, dans les armoires. J’étais couchée. Ça fait peur !
J’allais à l’école Michelet, mais c’était saccadé, au rythme des bombardements. On jouait avec des billes en terre sur les trottoirs, non goudronnés à l’époque. Et on ramassait les éclats d’obus, noirs et brillants. On n’avait pas beaucoup de jouets !
Ma mère me donnait des tickets de rationnement pour faire les courses. Elle était maligne : elle coupait les tickets un par un pour en resquiller un ou deux sur le tas que je donnais à l’épicière. C’était pour manger !
Peu avant la naissance de mon frère, un soir à la maison, mon père écoutait les informations à la radio, ma mère tricotait et je faisais des dessins. Ça a tambouriné à la porte de la cuisine qui donnait dans la cour commune, partagée avec un café. Mon père a fini par ouvrir. C’était deux marins allemands. Mon père les a très mal accueillis, mais il a reçu une vraie correction, avec des coups de poing.
On avait peur, je pleurais. Et puis ça s’est arrêté. Ils ont lavé mon père et sont partis. Je ne comprenais rien à tout ça. Ma mère m’a expliqué plus tard qu’ils étaient ivres et que la voir enceinte avait dû les dégriser, si bien qu’ils se sont presque excusés.
En 1943, on est partis dans le Maine-et-Loire. On est revenus en 1946. Les magasins étaient concentrés dans de petites maisons, il n’y avait pas de mairie, pas d’église.
Tous les quatre, on a habité chez ma grand-mère qui n’avait que deux pièces et j’ai dormi avec elle. Adolescente, cela me pesait, mais il n’y avait pas d’autre solution. »
Il nous en parle : Henri Bertreux
« J’ai perdu ma mère quand j’avais douze jours. J’ai été mis en nourrice chez des gens d’une gentillesse extraordinaire.
On habitait un immeuble d’un étage à Trélan, du côté de Sautron. Les Allemands avaient monté « des saucisses », des espèces de gros dirigeables qui perturbaient les liaisons radio des Américains ou des Anglais.
Tous les matins, avec les copains, on partait avec des pots de confiture pour ramasser des éclats d’obus. J’en avais toute une collection et on se les échangeait.
Les hommes avaient creusé une tranchée. Des pêcheurs y avaient mis une écoutille de bateau pour pouvoir y descendre. Avec les bombardements, on se couchait tout habillés et on descendait dans la tranchée presque toutes les nuits. Pour moi, c’était un plaisir ! Ils avaient mis l’électricité, les hommes jouaient aux cartes, les femmes tricotaient. C’est une époque qui m’a beaucoup marqué quand même.
À sept ans, j’ai assisté à l’opération Chariot. Cette nuit-là, on a été réveillés par des mitraillages. À l’étage, on a vu toute la baie de Sautron brûler sur la mer, illuminée avec tous ces bateaux en feu. Dans le commando, ils avaient des pirogues en bois aux côtés des bateaux en acier. Les Allemands les attendaient sur la plage avec les mitrailleuses, ça a été un massacre.
Le lendemain, ils sont passés dans les maisons pour voir si on cachait des Anglais. Ils crevaient les lits avec leurs baïonnettes. Ça m’a choqué.
Mes parents nourriciers ont pris peur et ont décidé d’aller en Vendée, à Bouin, d’où ils étaient natifs. Là-bas, on n’était pas malheureux. On mangeait sept livres de beurre par semaine ! C’était extraordinaire parce qu’à Saint-Nazaire on n’arrivait pas à en avoir 200g.
On est revenus en 1945 à Pornichet où le lycée Aristide-Briand était réfugié. Il y avait encore des cartes de rationnement. Il y avait peu de blé, donc on se contentait de pain de maïs.
En 1949, l’année où je suis rentré à l’école d’apprentissage, on est venus habiter à Herbins, dans les baraques. On était contents. »
Les rendez-vous du 80e anniversaire des Libérations
- Cérémonie du 80e anniversaire, jeudi 8 mai à 11h avec la grande chorale des écoliers nazairiens, au Monument aux morts, gratuit
- Le bal de la Liberté, samedi 10 mai à partir de 12h, place de l’Amérique-Latine
- Défilé et cérémonie officielle, dimanche 11 mai, au Monument aux morts sur le front de mer à 9h15 et place Blancho à 10h
- La Nuit des musées, « Empoché, malgré soi ». Samedi 17 et dimanche 18 mai, écomusée, gratuit
- Avec également, des visites, des expos, des ateliers, des documentaires et soirées débats au cinéma.
Saint-Nazaire, la ville réinventée : 1945-1955-2025
L’exposition retrace l’évolution de la ville en trois parties : la Libération (1944-1945), la Reconstruction (après-guerre) et l’Innovation (jusqu’à 2025), avec une mise en avant de témoignages, de l’urbanisme et des transformations architecturales au cours du 20e siècle.
À partir du 4 juin au LiFE, base sous-marine / Gratuit.