Patrice Quélard, le directeur de l’école à gauche.
Ce matin un hommage national était rendu à Samuel Paty, le professeur assassiné à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre dernier. David Samzun, maire de Saint-Nazaire assistait à la cérémonie à l’école Jean-Jaurès. A lire : le discours prononcé par Patrice Quélard, le directeur de l’école.
Le discours prononcé par Patrice Quélard
Monsieur le Maire, Monsieur l’adjoint au Maire, Messieurs et Mesdames les parents d’élèves, chers collègues, chers enfants,
J’étais déjà là en 2015, il y a plus de 5 ans, exactement au même endroit et également en présence de M. Perrin. Aucun d’entre vous n’était là, les enfants, ceux qui sont en CM2 aujourd’hui étaient à l’époque en Grande Section de maternelle.
Je m’en souviens comme si c’était hier, j’étais là après les attentats contre Charlie Hebdo, et 5 ans après j’y suis de nouveau, car un enseignant a été assassiné, juste parce qu’il faisait son travail. Vous en avez déjà parlé ce matin avec vos professeurs et je ne vais pas y revenir.
Vous savez, les enfants, que vous êtes ici à l’école Jean Jaurès. Chaque matin en entrant, vous pouvez voir sa photo dans le hall. Vous savez peut-être déjà des choses sur Jean Jaurès, et vous en apprendrez d’autres. Que c’est un homme qui a fait de grandes choses pour la France. Et parmi toutes ces choses, il a, avec d’autres, créé l’école laïque, gratuite et obligatoire.
C’était en 1881, il y a 139 ans.
7 ans plus tard, en 1888, il a écrit une lettre à tous les instituteurs – c’était comme ça qu’on appelait les maîtres et les maîtresses, à l’époque. Cette lettre est très longue et parfois compliquée à comprendre pour des enfants, puisqu’elle s’adressait à des adultes, mais je vais quand même vous en lire un extrait que vous comprendrez très bien : «Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme.
Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes (et femmes), et il faut qu’ils aient une idée de l'(humain), il faut qu’ils sachent quelle est la racine de nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse.
Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée. »
Vous voyez, Jean Jaurès le disait très bien il y a 132 ans, et rien de tout cela n’a changé.
Ici, c’est la France.
Et en France, on est libre de penser ce que l’on veut, de croire – ou de ne pas croire – ce que l’on veut. On est aussi libre de dire ce que l’on veut – c’est ce qu’on appelle la liberté d’expression –, à condition de n’insulter personne, bien entendu, mais les religions ne sont pas des personnes. La France n’a pas de religion, mais elle permet à tous ses citoyens de pratiquer la religion qu’ils souhaitent, ou de ne pas en pratiquer du tout – c’est ce qu’on appelle la laïcité. Cette liberté est une chance que d’autres n’ont pas, et comme toutes les chances, nous devons la chérir et la défendre.
Ici, c’est la France.
Et depuis 139 ans, tous les enfants de France, sans distinction d’origine, de couleur de peau, de religion, de langue ou de quoi que ce soit d’autre, vont à l’école non seulement pour apprendre à lire, écrire et compter, mais aussi pour apprendre les valeurs de la république : la liberté (d’opinion et d’expression), l’égalité et la fraternité, qui sont notre devise, mais aussi la laïcité, qui est un peu comme l’addition de ces trois mots.
Voilà pourquoi on ne vous laisse pas exprimer votre colère ou régler vos conflits par des insultes ou à coups de poings. Voilà pourquoi on vous apprend à parler et on vous demande au contraire de les régler par la communication, l’écoute, la patience.
Voilà pourquoi on ne vous laisse pas vous mettre en bandes, et terroriser ou harceler les plus faibles que vous, que ce soit directement dans la cour, ou de façon plus discrète, par exemple sur internet.
Nous vous inculquons tout ceci, comme le disait Jean Jaurès dans sa lettre, « avec fermeté et tendresse. » Fermeté parce que vous devez comprendre que ce n’est pas négociable, tendresse parce qu’une fois que c’est réglé, on ne vous en tiendra pas rancune.
Vos professeurs de collège et de lycée exigeront de vous la même chose, de même bien sûr que vos parents, vos entraîneurs de sport et tous les éducateurs que vous rencontrerez.
Tous, nous poursuivons le même but : faire de vous des citoyens solidaires qui, comme nous, défendrez plus tard la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la justice, la démocratie, et qui n’accepterez jamais ni la violence ni la barbarie.